Divination, magie et sortilèges

Toussaint Dubreuil - Hyante et Climène offrant un sacrifice à Vénus - huile sur toile - 1594-1601



Pierre de Ronsard s'est librement inspiré de la mythologie gréco-romaine pour imaginer deux soeurs, Hyante et Climène, se disputant l'amour de Francus. Le peintre Toussaint Dubreuil représente ici les deux jeunes femmes en train de sacrifier à Vénus ; les souvenirs des sacrifices romains sont évidents : Hyante offre une libation de vin, Climène jette dans le feu les poils du taureau immaculé qu'entraîne deux serviteurs sacrés ; pourtant ce sacrfice n'est pas tout à fait comme les autres : chacune des deux soeurs est accompagnée d'une figure sombre qui contraste étrangement avec les couleurs vives de la scène ; séance de divination où l'on interroge les dieux ? sortilèges pour se concilier leurs bonnes grâces ? Malgré leur origine royale, les deux jeunes femmes semblent se livrer à la magie et à la sorcellerie plus qu'à la prière. Il est vrai que la religion officielle est empreinte de magie et que les rituels magiques doivent beaucoup aux cérémonies officielles : les incantations, les purifications par l'eau et par le feu qui précédent les sortilèges ressemblent à s'y méprendre aux sacrifices religieux.

Héritiers de la culture savante des mages persans ou simples paysans adhérant aux croyances populaires, sorciers et devins pullulent en effet à Rome. Au V° siècle av. J. C., la Loi des Douze Tables condamne "celui qui a transporté par magie une récolte dans son champ" et "celui qui a prononcé une formule magique pour jeter l'infamie sur une personne". Il n'est guère d'empereur qui ne fasse appel aux astrologues et certains théurges ou thaumaturges comme Simon le Magicien fascinent les princes par leurs pouvoirs apparemment surnaturels. Mais la sorcellerie populaire est avant tout une affaire de femmes : "saga" et "striges" sont des mots féminins. La clientèle des sorcières se recrute dans toutes les classes sociales.

Pour bien des Romains, le pouvoir des sorcières est pratiquement infini ! Selon Ovide, qui fonde quelques-unes de ses "métamorphoses" sur les sortilèges de Médée, elles commandent au soleil, à la mer, aux fleuves et aux vents, elles peuvent faire renaître l'agneau des cendres du bélier et redonner aux vieillards le sang de la jeunesse. Elles ont surtout le redoutable pouvoir de "tirer les mânes de l'enfer et d'y faire descendre les dieux".

Le rapport de la magie avec les morts est constant : bien des sortilèges se déroulent dans les cimetières, où les sorcières invoquent les âmes des morts, les mânes, les lémures, les larves et autres esprits malfaisants ; elles sollicitent les divinités infernales, Hécate, Pluton, Dis Pater, Proserpine, les Furies, les Parques, Charon et Cerbère mais aussi des dieux étrangers, celui des Juifs, ceux des Egyptiens. Les noms de certains démons, Trabaxia, Bachachuch, Bibirixi ou Pythipemi, résonnent à eux seuls comme des incantations.

Les rituels de sorcellerie ont de quoi donner le frisson aux esprits les mieux trempés ! Vêtue de noir, des serpents mêlés à ses cheveux, la sorcière règne sur un peuple d'animaux maléfiques - corbeaux, chouettes, crapauds, serpents -, elle règne aussi sur tout un monde d'herbes magiques ou médicinales et sur un bric-à-brac d'ustensiles sinistres - rhombe au son lugubre, clous de gibets, morceaux de navires échappés au naufrage, fragments de tombeaux, ossements et débris de cadavres. Si l'on en croit Horace, les sorcières ne répugnent pas aux meurtres rituels pour se procurer les ingrédients nécessaires à leurs maléfices : pour évoquer les mânes, elles saignent une agnelle noire de leurs dents à l'intérieur d'un cimetière, pour obtenir un philtre d'amour invincible, elles condamnent un enfant à la mort lente : à demi-enterré, il mourra de faim et de soif ; son foie et sa moëlle serviront ensuite à leur cuisine diabolique ! Pour les parents qui ont la douleur de perdre un enfant sans qu'on connaisse l'origine de sa maladie, l'explication ne fait guère de doute...

Expertes en recettes de toutes sortes, les sorcières confectionent indifféremment philtres d'amour, breuvages de guérison ou poisons mortels, qu'elles procurent à ceux qui osent les visiter dans leur antre, comme on le voit suir une peinture du Musée de Naples. La pratique de l'envoûtement est courante à Rome : d'innombrables tablettes de "défixion" ont été retrouvées par les archéologues dans les cimetières et dans les amphithéâtres ; percées d'un clou, ces tablettes, généralement en plomb, vouent la victime aux divinités infernales ; pour appeler les morts à leur service, les sorcières les glissent dans les conduits destinés aux libations des parents du défunt ! Les unes appellent l'amour, d'autres la haine ; les gladiateurs, les conducteurs de char appellent le mauvais sort sur leurs adversaires... Couvertes d'imprécations, de signes cabalistiques et de dessins plus ou moins évocateurs, ces tablettes sont de redoutables talismans. Leur nombre en témoigne, les sorcières, à Rome sont partout...