Le triomphe romain

Giulio Romano
Le Triomphe de Titus et de Vespasien - vers 1537

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Les légions romaines étaient le fer de lance de l'impérialisme romain. C'est elles qui conquéraient le monde à la pointe de leurs lances et de leurs épées. Aussi les généraux vainqueurs étaient-ils largement récompensés : sur le champ de bataille, ils recevaient d'abord le titre d'imperator mais le Sénat pouvait ensuite les gratifier de prières publiques (supplicationes), voire d'une ovation (ovatio): ils entraient alors solennellement à Rome et l'on immolait sans doute une brebis (ovis => ovatio) au Capitole en leur honneur. Mais la récompense suprême était le "triomphe".

Le général, paré en Jupiter Capitolin, montait alors au Capitole sur un char tiré à quatre chevaux. Il traversait la ville aux acclamations de la foule, passant sous un arc de triomphe spécialement construit pour commémorer l'événement ; devant lui, défilaient ses prisonniers et son butin : de lourds chariots portaient les dépouilles de guerre, tous les trésors volés aux vaincus ; les hommes et les femmes nobles des territoires conquis, exhibés comme des trophées, marchaient enchaînés sous les huées du peuple romain massé aux deux côtés de la rue. Derrière les généraux vainqueurs venait enfin l'armée.

Arrivée au Clivus Capitolinus, le chemin escarpé qui menait au Capitole, la procession se scindait en deux. Les prisonniers étaient dirigés vers la prison ou vers la place d'exécution (les souverains et les chefs de guerre vaincus étaient lentement étranglés après avoir été humiliés par le triomphe), quant aux généraux vainqueurs, ils continuaient leur chemin jusqu'au temple de Jupiter, Junon et Minerve, où ils sacrifiaient un taureau blanc immaculé à Jupiter.

Le triomphe était un formidable spectacle : celui de César, qui fit défiler ses troupes en 46 avant J.C. derrrière trois enseignes frappées des mots "veni, vidi, vici' ("je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu"), dura trois jours ; celui de Pompée - en 61 avant Jésus-Christ -, vainqueur de Mithridate du Pont, dura deux jours. Ces processions étaient souvent suivies de plusieurs jours de jeux et de combats de gladiateurs dans les arènes .

Le peintre Giulio Romano a représenté ici le triomphe de Titus et de Vespasien dont l'historien juif Flavius Josèphe donne une description minutieuse dans La Guerre des Juifs, et que raconte brièvement Suétone dans ses Vies des Douze Césars. Bien que le Sénat eût voté un triomphe pour chacun d'eux, Titus et Vespasien décidèrent de célébrer leur victoire contre la Judée ensemble . Tous deux, vêtus de pourpre, la tête couverte de lauriers, s'apprêtent à franchir l'arc de triomphe qui a été construit pour célébrer leur victoire ; au-dessus d'eux vole une victoire ailée qui dépose sur leur tête une couronne d'or ; ils avancent vers un arc triomphal qui marque leur entrée et célèbre leur victoire. Ils entrent dans Rome débout sur un quadrige, un char tiré à quatre chevaux ; leurs hommes, comme eux couverts de lauriers, participent à la victoire : les uns mènent les chevaux, d'autres, à l'instar de ce jeune homme portant une aiguière d'or, exhibent les trophées dérobés à l'ennemi. Le char lui-même est un chef d'oeuvre d'orfèvrerie : entièrement couvert d'or, il est surchargé de sculptures, les chevaux sont richement harnachés, les roues, dont on voit scintiller le cerclage de fer, sont délicatement travaillées avec leurs rayons torsadés et leur essieu garni de redoutables lames acérées, capables de trancher les tendons des chevaux ennemis...
Devant eux marche une
captive, tête baissée, poussée sous l'arc de triomphe par un soldat qui la tient par les cheveux. Au-delà du symbole religieux de la Synagogue vaincue, c'est la cruelle réalité du triomphe qui est représentée : les prisonnières appartenaient de droit au butin du vainqueur. Le chandelier à sept branches, volé au Temple de Jérusalem, fait également partie du butin qui précède les triomphateurs. Giulio Romano a mis en abyme le motif de l'arc de Titus qui lui sert de source iconographique : le char peint est comme la réplique colorée du char sculpté en bas-relief à l'intérieur de l'arc de triomphe.