Caligula

CALIGULA (Caïus Caesar Augustus Germanicus)

Troisième empereur romain, né l'an 13 de notre ère, à Antium selon les uns, suivant d'autres en Germanie, au milieu des camps romains, mort l'an 41. Fils de Germanicus et d'Agrippine, et petit-fils de Tibère par adoption, il avait passé son enfance au milieu des soldats, dont il était devenu l'idole, et qui lui avaient donné le surnom de Caligula, petite calige, parce qu'il portait la caliga, chaussure de l'infanterie romaine. Après la mort de son père, il vécut plusieurs années à la cour de Tibère, où il assista impassible au meurtre de sa mère et de ses deux frères, et où il fit preuve de la plus profonde dissimulation. Tibère devina, dit-on, le naturel féroce du jeune homme. Il lui arriva de dire : " Je nourris le serpent du peuple romain et le Phaéton de l'univers. " Et, satisfait sans doute d'avoir trouvé un successeur qui ferait regretter même sa tyrannie, il lui laissa l'empire lorsqu'il mourut, en 37.
Caligula était alors âgé de vingt-quatre ans. Son avènement fut accueilli par une joie universelle, et il sembla vouloir d'abord dépasser toutes les espérances en faisant revivre les vertus de Germanicus. C'est ainsi qu'il rappela les exilés, abolit les impôts vexatoires, promit solennellement de ne jamais prêter l'oreille aux délateurs, et ne donna d'abord que des preuves de modération, d'équité et de grandeur. Mais huit mois s'étaient à peine écoulés, qu'un changement radical s'opéra en lui, à la suite d'une maladie grave qui mit ses jours en péril. Caligula n'eut pas plutôt recouvré la santé qu'il révéla tout entière la férocité de son caractère par des actes dignes de son prédécesseur.
Après avoir adopté son neveu Tibère, fils de Drusus, il le contraignit peu après à se donner la mort. Il fit également mourir Silanus, son beau-père, Gemellus, petit-fils de Tibère, Macron, préfet du prétoire, ainsi qu'une multitude de citoyens et de sénateurs dont il convoitait les richesses. Un jour qu'il ne se trouvait pas de criminels pour combattre les bêtes féroces, il fit exposer dans le Cirque des personnes prises au hasard parmi les spectateurs. Une autre fois, dans le seul but de faire quelque chose d'extraordinaire, il fit jeter un pont de bateaux sur la mer entre Baïes et Pouzzoles ; puis, après avoir inauguré ce monument par des orgies, il fit précipiter dans la mer un grand nombre des spectateurs de cette scène. Avide de spectacles horribles, il faisait souvent mettre en pièces ou périr dans les tortures des malheureux qui n'étaient accusés d'aucun crime, obligeait les parents des victimes à assister à l'exécution, et le plus souvent les faisait périr ensuite. Tous les dix jours, il dressait la liste de ceux qu'il voulait faire exécuter, ce qu'il appelait apurer ses comptes , et, en montrant ses victimes, il répétait à ses bourreaux : Faites en sorte qu'ils se sentent mourir. Un soldat, habile à couper les têtes, exerçait son talent en sa présence sur tous les prisonniers indifféremment. Comme la viande coûtait trop cher pour nourrir les animaux du Cirque, il les fit nourrir avec la chair des criminels, qu'on leur donnait à déchirer vivants. Souvent il répétait ces paroles d'un vieux poète : Oderint dum metuant! " Qu'ils me haïssent pourvu qu'ils me craignent ! "
Son avidité et sa lâcheté égalaient sa férocité. Après un simulacre d'expédition sur les bords du Rhin, à la tête de 200.000 hommes, il revint triomphalement sans avoir combattu un seul ennemi, se fit proclamer sept fois imperator par ses troupes, épuisa la Gaule par ses extorsions, et ensanglanta ce malheureux pays, en envoyant au supplice une foule de ses habitants, dont il confisquait les biens pour les vendre ensuite en personne aux prix qu'il fixait lui-même. Avant de revenir à Rome, il annonça le dessein d'envahir la Grande-Bretagne, mais il se borna à rassembler son armée au bord de l'Océan, et commanda aux soldats de ramasser des coquillages, qu'il rapporta au Capitole comme les dépouilles de l'Océan vaincu. Il écrivit alors à Rome, afin qu'on lui préparât un triomphe digne de la gloire qu'il prétendait avoir acquise, et il choisit dans la Gaule des hommes de haute taille, destinés à représenter des prisonniers germains. Il eut un instant la pensée de massacrer les légions qui s'étaient mutinées jadis, lorsque Germanicus était à leur tête ; mais, ayant vu des légionnaires, qu'il avait fait entourer par de la cavalerie, courir aux armes, il fut saisi de terreur et s'enfuit aussitôt vers Rome, où il rentra bientôt après. Là, il fit retomber toute sa fureur contre le Sénat, défendit qu'aucun de ses membres vînt à sa rencontre, se contenta de l'ovation en différant son triomphe, mais ne se plaignit pas moins avec amertume qu'on ne le lui eût point décerné. Il résolut de se retirer à Antium ou à Alexandrie, après avoir exterminé tout ce qu'il y avait d'illustre dans les deux premiers ordres de l'Etat.

Epileptique dès l'enfance, jamais il ne dormait plus de trois heures, et encore son sommeil était troublé par les plus extravagantes visions. Lorsqu'il entendait le bruit du tonnerre, il courait se cacher sous son lit. Ivre d'orgueil, il proclama lui-même sa propre divinité, se bâtit un temple, se fit adorer par un collège sacerdotal, auquel il associa son cheval Incitatus, ordonna de décapiter les statues des dieux, auxquelles il fit mettre sa tête, se montra en public avec les attributs d'Apollon, de Mars, etc. ; enfin il poussa la démence jusqu'à commander d'anéantir les œuvres d'Homère, de Virgile, de Tite-Live, etc. Il se présentait le plus souvent en public avec des habits de femme et une barbe d'or ou s'habillait en Vénus. Erudit et éloquent, il était tour à tour chanteur, danseur, gladiateur et cocher. Il lui arrivait parfois de danser de toute sa force sur le théâtre, en habit de musicien. Il était tellement attaché à la faction des cochers verts qu'il mangeait et couchait très souvent avec eux dans leur écurie. Pris d'une belle passion pour son cheval Incitatus, il lui fit faire une écurie en marbre, des colliers de perles, lui donna une maison complète, voulut qu'on allât manger chez lui, et fut même sur le point de le nommer consul. Lorsqu'il eut dépensé les trésors amassés par Tibère en prodigalités inouïes, il eut recours, pour avoir de l'argent, aux extorsions de toute espèce, s'empara des héritages, et inventa des impôts inconnus et tellement multipliés qu'il n'y avait ni personne ni chose qui ne fût taxée.

Ses mœurs atteignirent les dernières limites de la dépravation. Il établit des lieux de débauche dans son palais. Tel était le spectacle que Caligula donnait au monde, lorsque quelques citoyens prirent enfin la résolution de mettre un terme à ses monstrueux excès. A la tête des conjurés se trouvait le prétorien Cassius Chaereas. Il frappa le premier Caligula, qui tomba percé de trente coups 'de poignard. Sa femme, Césonie, fut tuée en même temps que lui et leur fille fut broyée contre les murailles. Caligula avait régné quatre ans. (Larousse du XIX° siècle)